7 January 2010

Hide the Curse - Serie for Installation



A la maison, la cave était immense et ma mère y rangeait des boîtes en cartons, toutes bien mises les unes à côté des autres, fourrées de mille livres et objets sans importance. Tant de souvenirs que son impossibilité à jeter l’a forçait à enmagaziner année après année dans des boîtes qui apparaissaient aux yeux des enfants comme des coffres-forts rempli d’or et de diamants. Elles étaient là, comme des corps précieux et fragiles, enfermées dans leur temple sous-terrain.

Chez nous on vivait sans un mot et les choses que je sentais à l’intérieur me faisaient peur, parce que je ne savais pas si elles étaient à moi.

Je me suis toujours demandée pourquoi on donnait plus de valeur sacrée à des lieux ou à des objets qu’à nous-même? Et pourquoi donne-t-on plus d’importance aux temples et aux cathédrales qu’à un désert de roches ou qu’aux rues d’une ville de béton?

Une boîte enfermée dans la cave, un secret, un mensonge, un cadeau pas encore déballé, c’est comme la porte scellée dans un film d’horreur, celle que l’on veut absolument ouvrir, bien entendu la seule qui nous est interdite, on veut à tout prix découvrir ce qui se cache derrière.

Un jour j’ai détaché un morceau du papier-peint de ma chambre qui se décollait du mur, et j’ai découvert, sur les couches précédentes, des bonshommes dessinés et des écritures, vestiges des anciens habitants.

Le papier était dur à arracher mais leur trace, leur présence, même masquée, était toujours là. J’ai suivi du doigt les contours d’un des personnages comme poinçoné dans le mur. C’était un homme à tête de girafe mais avec un chapeau. Il souriait.

C’est vrai que, par exemple, le livre qui est encore enfermé dans son emballage de plastique est toujours plus attirant que les autres. Tout à coup rien que le titre ou le dessin sur la couverture me fait penser et fantasmer à ce qu’il renferme.

Ce livre emballé dans son plastique, aucun doigt n’a caressé son papier, aucun oeil n’a joui de ses images. Oui, il y a quelque chose dans la virginité qui fascine.

Sans doute parce qu’on n’est vierge qu’une fois. Si on essayait de mimer la première fois, on se parodierais, on deviendrait un acteur ou un cascadeur, voire un clown de carnaval. Il est possible physiquement de refaire la performance, mais ça n’a plus d’intérêt.

J’ai retiré le film plastique qui recouvrait le livre. C’était un livre qui reprennait des photos de routes, de splendides images nocturnes de bâtiments mystérieux, de lueurs dans le ciel, et de têtes d’animaux.

Rouler c’est forcément recontrer les lieux spécifiques que sont les autoroutes aux rubans interminables, les parkings, les motels ou autres carrefours à la signalétique routière et publicitaire surrabondante.

Ce sont des lieux qui créent leurs propres schémas mathématiques.

Ce qui m’attire le plus ce sont les zones d’aéroport, les zones industrielles, les containers colorés, qui s’emboitent et s’empilent comme les légos de mon enfance, ou comme les boîtes dans la cave de ma mère.

La cave dont je traversais les pièces scandées par des ampoules lumineuses, qui faisaient de chaque salle un cinéma silencieux, dont tout film est absent.

C’est celà que je retrouve dans la passion de la route: un territoire esthétique, sinon vierge, du moins à explorer encore et encore; la dissolution de soi dans l’espace mobile. On est à la place de l’événement, à la place du mort.

C’est, je pense, cette beauté accidentelle qui fascine. Les lignes ont l’air de prendre la forme du temps. Chaque chose à sa place, autre chose, autre place. Entre les moments de concentration, ce n’est pas une seule sensation, mais plusieurs entre lesquelles je ne peux pas choisir.

Les bâtiments qui bordent la route ont l’air fort, et donnent l’impression de s’intégrer naturellement à leur environement. C’est un moment particulier le long d’une voie ferrée, où ces bâtiments deviennent comme des personnages au bord de la désagrégation.

Les lueurs des lampes qui grésillent deviennent la musique des morts; comme si elles venaient d’outre-tombe et qu’elles résonnaient dans le brouillard.

Et là tout à coup je me rends compte que jamais plus on ne dormira aussi profondément que quand on était enfant. Moi aussi, comme ces bâtiments, je voudrais être forte et m’intégrer.

Si j’écrivais moi-même un livre, j’écrirais de la poésie, des phrases sans construction, juste des mots acollés, une liste de mots dont l’intérêt se trouverait dans leur incompatibilité et les images qu’ils créent dans les têtes des lecteurs. Ils seraient écris en ligne, à la suite les uns des autres, sans point ni virgule:

Haut-parleurs transparents, douce violence de l’eau, émailler la vie, faire cracher la douce vérité, Entre les actes, traverser les apparences, poisons sécrétés, crudité sexuelle, écrit désincarné, suicide collectif, Beauté accidentelle, terrain fertile, plan de tendresse, délicates volûtes, sol en pavé, volupté, mer mécanique, désillusions romantiques, corps précieux mais morbide d’un enfant endormi, cris des chauve-souris contre les parois,...

Les mots seraient comme la goutte d’eau cristalline qui creuse la pierre siècle après siècle, et la taille, comme un diamant. Le diamant qui brise le verre et qui est si long à être créé.

Les mots seraient comme quand on s’engueule avec quelqu’un qu’on aime et puis qu’on dis pardon. C’est oublié, c’est pardonné mais quand même il reste une blessure, une petite égratignure, comme un éclat dans le pare-brise de la voiture, et un jour, un stupide à-coup fait exploser la vitre en huit mille morceaux.

Les mots seraient comme avec cet homme que j’ai rencontré dans un bar un soir. Bien sûr je savais ce qu’il voulait, je l’ai fait avec lui comme une pute, sans même lui permettre de me toucher ou de m’embrasser.

A la fin, on est resté allongés là, côte à côte, comme des étrangers. En se rhabillant, il m’a dis quelque chose que j’ai fait semblant de ne pas entendre et je l’ai fait répéter, plusieurs fois, jusqu’à ce que ça devienne génant.

Aucune explication offerte, aucune histoire, aucune psychologie populaire, pour éviter de tout donner d’un coup.